De jeunes Meljacois dans les armées
de la 1ère République à l’Empire…

Le contexte Historique… 

La période qui s’écoule de la naissance de la 1ère République (le 21 septembre 1791, la Convention décrète l’abolition de la Royauté) à la chute du 1er Empire (le 6 avril 1814, Napoléon 1er abdique sans conditions ; la Monarchie est restaurée avec Louis XVIII) n’est qu’une succession de guerres entre la France et l’Europe(6 coalitions) au sortir desquelles, lors du Congrès de Vienne, les coalisés se partagent les "dépouilles " d’une France qui se retrouve (2ème traité de Paris, novembre 1815) plus petite qu’avant la Révolution, appauvrie, humiliée et suspecte à toute l’Europe.

Alors que la Révolution de 1789 avait "déclaré la paix au monde " et affirmé son cosmopolitisme, la 1ère République, dès la Convention en 1793 décrète la "levée en masse " et traîne à l’échafaud quiconque propose une paix de compromis.

Les traités de Lunéville(1801) et d’Amiens(1802) signés par le Consulat avec la "2ème coalition " ne seront qu’une courte trêve.

Avant la fin du Consulat, dès 1803, la guerre reprend avec l’Angleterre et la 3ème coalition. Elle remplira, au fil des coalitions successives (4ème, 5ème et 6ème coalition) toute l’Histoire de l’Empire Napoléonien jusqu’à sa chute.

les Meljacois aussi…

Dans une monographie réalisée par M. Edmond AZAM en 1974, à partir de l’étude des "vieux Papiers " de plusieurs familles de Meljac ; Azam et Enjalbert du Puech-Issaly, Canac du Clot, Alary et Barthes du Martinesq et Mazars de la Bessière; on peut lire :  "…Meljac a payé son tribut de sang à la République puis à l’Empire… ".

Les documents d’archives dont nous disposons (à savoir, les minutes d’un procès entre Enjalbert, curé constitutionnel et ses paroissiens en 1805 et le registre tenu à la paroisse en 1837 pour la réparation des cloches de Meljac par Louis Mazars "fabricien caissier ") montrent qu’à cette époque, Meljac compte 82 foyers totalisant environ 520 habitants.

Au vu d’une telle densité de population, il est certain qu’un grand nombre de jeunes gens en âge de porter les armes sont mobilisés et que beaucoup de familles se trouvent avoir un ou plusieurs fils sous les drapeaux, compte tenu aussi des besoins en hommes du moment. Dans les rares documents retrouvés et encore lisibles, quelques noms de famille apparaissent avec certitude, tels Jacques Molinier vraisemblablement de la Tourénie, Jean et Pierre Tayac (mais de quels Tayac s’agissaient-ils puisque 4 Tayac habitaient alors la Paroisse) et Barthélémy Mazars de la Bessière.

Mais comment ces jeunes étaient-ils recrutés ?

En 1793, le décret de "levée en masse " pris par la Convention stipule que tous les Français, célibataires et veufs sans enfants de 18 à 25 ans, sont en réquisition permanente pour le service armé sans limitation de durée.

En 1798, la loi Jourdan institutionnalise la conscription des jeunes de 20 à 25 ans, 5 ans en temps de paix (on a vu plus haut combien étaient rares les périodes de paix !) illimitée en temps de guerre.

En1804-05 est instauré le tirage au sort avec les conseils de révision et le système du remplacement. Est fixé d’avance le nombre de conscrits à atteindre ; et on prend les plus jeunes de la classe mobilisée en s’arrêtant au nombre fixé, ce qui peut exempter les natifs de janvier, février voire mars. Les mobilisés peuvent payer un non-mobilisé comme remplaçant. Si le remplaçant est tué, le remplacé doit partir ou payer un autre remplaçant.

Les tirages au sort ne prenaient évidemment pas en compte les situations de familles pour certaines, particulièrement difficiles notamment quand le sort s’acharnait sur les mêmes.

Dans bon nombre de régions éloignées de la capitale et particulièrement isolées ; Bretagne, Vendée, Gévaudan, et entre autre, en Ségala, certains jeunes tentaient de se soustraire à la conscription ou ne se présentaient pas à leur corps. Avec la complicité des familles et des voisins, cette clandestinité parfois pouvait durer des années ; épreuve souvent inutile aboutissant après une longue traque, à l’arrestation au terme de laquelle, les familles devaient payer les frais de recherches engagés par la gendarmerie ; le jeune repris devant alors accomplir son service militaire avec les rigueurs appropriées à sa défection initiale : scène insoutenable qu’un fils quittant la maison "tenu en laisse " entre deux gendarmes à cheval.

les "papiers de famille " nous racontent…

     On apprend d’une lettre datée du 12 messidor An VII (12 juillet 1799), émanant de l’Administration Centrale du Département de l’Aveiron (sic), adressée à l’Administration Municipale du Canton de Lédergues, que Barthélémy Mazars fut inquiété au sujet de la disparition de son frère Jean-Louis, conscrit désigné par le sort.
     Cette même lettre qui demande la suspension de toute contrainte à l’égard de Barthélémy qui a réglé tous ses droits, insiste pour que toute mesure nécessaire soit prise pour procéder à l’arrestation de Jean-Louis et que l’Administration aura à prendre toute mesure pour faire face à la multiplication des cas de désertion.
      cf.documents :

1  ( lettre du 12 messidor An7).
1bis ( lettre du 12 messidor An7 suite ).
1ter ( adresse lettre 12 messidor An7).

      Un autre frère de Barthélémy Mazars, François, conscrit en 1805, se cacha jusqu’à son arrestation en 1808.
      Un mandat qui lui est adressé par son frère Barthélémy, daté du 22 janvier 1808, atteste de son incorporation à Briançon. Il semble à nouveau recherché en 1812 ; il n’avait pas reparu au Pays. C’est sans doute à la fin des guerres de l’Empire qu’il reviendra à la Bessière pour y mourir en 1850.
      cf.document : 2 ( mandat Briançon 1808 ).

     Autre document, relatif à Jean-Baptiste Mazars, troisième frère de Barthélémy ; une lettre émouvante qu’il adresse le 18 avril 1812 de "Rodes a Lasquazernes "(sic), avant son départ sur le front de l’est, à sa belle sœur Marianne Féral, veuve de Barthélémy qu’il laisse avec six enfants, ses neveux et dont il était sûrement le seul soutien. Il termine sa lettre par ces mots "je vous embrasse de tout mon cœur. Ne m’oubliez jamais, car moi je ne vous oublierai jamais de la vie. Priez Dieu pour moi toujours… ".
      cf.documents :
3 ( lettre Rodez 18 avril 1812 ).
3bis ( lettre Rodez 18 avril 1812 suite ).

     Dans deux autres lettres écrites de l’Hôpital Militaire de Strasbourg les 19 et 28 juin 1812, il demande en vain 50 Francs dus par son employeur Joseph Aleman "du moulin de Sansirguas " (St. Cirq) ; argent dont il a grand besoin pour améliorer son ordinaire et reprendre des forces après sa maladie.
      cf.documents :
4 ( lettre Strasbourg 19 juin 1812 ).
4bis ( lettre Strasbourg 19juin 1812 suite).
4ter ( adresse lettre Strasbourg 19 juin 1812 ).
5 ( lettre Hôpital Militaire Strasbourg 28 juin 1812 ).
5bis ( lettre Hôpital Militaire Strasbourg 28 juin 1812 suite ).
5ter ( adresse lettre Hôpital Militaire Strasbourg 28 juin 1812 ).

      Vingt quatre francs seulement, pourront être réunis par sa belle sœur qui les lui enverra de Rodez par mandat à Strasbourg le 14 août 1812, comme en atteste le talon.
      cf.document :
6 ( mandat Strasbourg 1812 ).

      Combien de situations tout aussi douloureuses, à Meljac ou ailleurs ? beaucoup, certainement…nos campagnes où sévissent illettrisme général, pauvreté endémique et absence de communication, semblent n’avoir été qu’un intarissable vivier d’hommes, pourvoyeur de "chair à canon "dont le quotidien n’apitoyait guère les grands Stratèges Militaires.
      Et qu’advint-il de cette jeunesse meljacoise ? Combien résistèrent aux interminables marches au travers de l’Europe entière ? Combien échappèrent aux massacres des batailles et revinrent vivre au Pays ?
      Les "Vieux Papiers ", un peu jaunis et froissés, précieusement conservés au fond de nos armoires de famille contiennent probablement, comme les Archives Départementales, des éléments de réponses à ces questions.

et pour conclure, provisoirement…

Valmy, Fleurus, Castiglione, Arcole, Rivoli…

Ulm, Austerlitz, Iéna, Friedland, Eylau…

autant de noms que l’on nous enseigna et qui résonnent dans nos mémoires comme les victoires remportées au pas de charge et "la fleur au fusil " par les valeureux sans-culottes de la Révolution ou les fidèles grognards de l’Empire ; sur l’air du "Chant du départ ", de "la Marseillaise "ou, et selon les époques, au son des tambours de la garde impériale …

mais il y eu aussi Trafalgar, la Bérésina …et, Waterloo qui sonna le glas de l’épopée napoléonienne

Très peu de choses, par contre nous restèrent en mémoire de l’impact douloureux sur le quotidien de nos ancêtres de ces guerres interminables et sur l’étendue de ces souffrances muettes et anonymes qui sont le lot de l’Histoire des Hommes.

Prochainement et en fonction de nos sources, quatre jeunes de Meljac dans "l’aventure " des campagnes d’Italie, de Crimée et la guerre de 1870 contre la Prusse. : Jean-Baptiste PANIS, Pierre AZAM,

X. ENJALBERT et X. CAYRON.





Le Chant du Départ, par François Rude :
haut relief de l’Arc de l’Etoile.